MAIS QUI DONC ETAIENT CES "LITTERATEURS PROLETARIENS"?

 

 

 litterateurs proletariens

 

 

 

     Un documentaire d' Arte, consacré à l' " avant-garde"1, surtout picturale. Des images d'archives, une manifestation et cette banderole mentionnant les " littérateurs prolétariens ", ainsi que leur revue mensuelle: La Cité Future. On pourrait croire à un mauvais canular, d'autant que le terme "littérateur" est toujours pris en mauvaise part. Il s'agit pourtant d'une "vraie" banderole, pas de quelques mots griffonnés à la hâte sur un carton.

     Pourtant, ces "littérateurs prolétariens", aucun ouvrage consacré à la littérature prolétarienne ne les évoque; ils semblent n'être jamais intervenus dans le débat "des années 30", comme on dit...

     Les journaux de l'époque ont cependant rendu compte de leurs activités, que l'on peut situer principalement entre 1924 et 1934. Il existe deux types de comptes-rendus: soit les journaux mentionnent simplement leur présence à une manifestation, soit tel ou tel chroniqueur s'essaie à des commentaires en général peu bienveillants.

     Ainsi, ces littérateurs prolétariens sont nommément désignés lors de la manifestation du 1er mai 1927 au Pré -Saint-Gervais2, le 28 mai de la même année pour la commémoration de la Commune3; le 7 août, ils "demandent véhémentement la liberté immédiate des deux innocents4";en janvier 1928, ils participent à la manifestation de Levallois "pour l'amnistie5". en avril 1933, on les retrouve à Bagnolet dans le cortège "contre le fascisme", à l'appel du Comité Amsterdam6; en novembre 1933, à la manifestation "sauvons quatre innocents7"; enfin, en février 1934 aux obsèques des "victimes de la répression capitaliste8"

     Il semble que ce soit surtout lors du 1er mai 1927 qu'ils se soient particulièrement signalés à l'attention des journalistes et chroniqueurs. Ainsi, le Matin, dans un article intitulé "le calme 1er mai9" signale : "Au passage, une pancarte; on y lit: "Syndicat des littérateurs prolétariens: Mort aux intellectuels bourgeois" "; suit ce commentaire qui se veut ironique: "Pauvres intellectuels bourgeois que voici maintenant rangés au rang des capitalistes". Dans le Journal10, Clément Vautel évoque "Le cortège dérisoire organisé par les communistes au Pré-Saint-Gervais [où] il y avait, au son de la musique de Bobigny, un groupe de camarades à grosses lunettes de celluloïd dont l'un portait une pancarte ainsi libellée [même slogan]». Et de conclure: "La faucille et le marteau auraient pu être remplacés par le rasoir". Paris-Soir tiendra des propos similaires sous la plume de Bernard Gervaise.11 Dans le même Paris Soir,12...plus tard, Séverine, après avoir naturellement évoqué Jules Vallès, rappellera les différents articles parus, tout en opposant les "littérateurs prolétariens» à la délégation soviétique, menée par Mme Kameneff, sœur de Trotsky, venue demander aux intellectuels français de "joindre leur adhésion et leurs efforts à ceux d' Upton Sinclair, d' Einstein [...]13".Quant au Peuple, il oubliera l'adjectif prolétarien, ne retenant que "Syndicat des intellectuels".

     Quant à la revue mensuelle La Cité Future, son premier numéro date de 1927; l' Intransigeant 14 signale: «Vient de paraître une nouvelle revue, la Cité Future, dont le premier numéro est en grande partie consacré à Mr Gabriel Toutin, poète. Cette revue se fait l'organe du "Syndicat des littérateurs", lequel met en garde les lecteurs contre un X.., exclu dernièrement avec ces qualificatifs : menteur, imposteur et pire encore. Il n'a, du reste, aucune production.". Au cours de la manifestation de janvier 1928, l' article du Rappel 15évoque "un petit jeune homme [qui], sur un ton aigu, clamait éperdument : "Demandez l'organe du Comité de défense des littérateurs prolétariens"

     Ce Gabriel Toutin, poète, aucune information biographique sur lui., si ce n'est qu'il est le directeur de la revue et qu'il a publié, s' il s'agit bien du même, en 1926 une pièce, le Roi de Grenade, suivie de contes et poèmes. Pour le reste, il n'est mentionné nulle part, inconnu du Maîtron et des ouvrages consacrés à la littérature prolétarienne. Il s'est cependant signalé plusieurs fois en adressant de pétitions à la ville de Paris : en 1935, en tant que secrétaire du syndicat des littérateurs et du Comité des intellectuels artistes, pétition "relative à l'aide à apporter aux littérateurs au chômage16"; en 1938, pétition, "en tant que « directeur de la Cité Future, tendant à assumer la direction du Théâtre Sarah-Bernhardt17". Plus "tragique", l' Humanité signale en 1925 que "Jeudi soir, tandis que notre camarade Toutin Gabriel mettait de l'ordre dans sa maison,[...], un coup de fusil retentit. Des plombs vinrent s'écraser contre la façade[...]18".

     Une organisation, une revue, un "leader"; comment se fait-il que ces « littérateurs prolétariens » ne se soient pas davantage manifestés et,-encore une fois- qu'ils aient été muets lors du long débat sur la littérature prolétarienne ? Etait-ce une de ces organisations-croupions destinées à élargir l'audience du parti communiste ? Un groupe fantôme bâti autour d'un individu un peu mégalomane ? Mystère. Si quelqu'un a des lumières à apporter, elles seront les bienvenues....    

                                                                                                                                                                                                                    D. Cottel, pour l' A.P.L.O.

 

 

DERNIERE MINUTE

     Il semble que Camille Bryen et Bernard Gheerbrant, dans leur Anthologie de la poésie naturelle (Edition K, 1949) aient publié quelques poèmes (ou textes?) de Gabriel Toutin, " auteur prolétarien"

(Source : l' Alamblog : www.lekti-ecriture.com/blogs/alamblog/ )

 

 

NOTES

 

1 Emission diffusée vers décembre 2015

2 Le Matin, 02 mai 1927

3 l' Humanité, 28 mai 1927

4 id. 07 août 1927 ; les "deux innocents" sont Sacco et Vanzetti

5 Le Rappel, 23 janvier 1928 ; il s'agit de l'amnistie, entre autres, de Marcel Cachin et de Paul Vaillant-Couturier.

6 l' Humanité, 09 avril 1933

7 id., 23 septembre 1933 ; "Appel pour sauver quatre innocents " : il s'agit des quatre accusés de l'incendie du Reichstag.

8 Le Populaire, 18 février 1934 ; pour les victimes de la manifestation du 9 février 1934, en réaction à celle du 6 février.

9 Le Matin, 02 mai 1927

10 Le Journal, 3 mai 1927

11 Paris-Soir, 5 mai 1927

12 id., 16 mai 1927

13 Le Peuple, 02 mai 1927

14 L' Intransigeant, 16 novembre 1927

15 Le Rappel, 23 janvier 1928

16 Bulletin municipal officiel de la ville de Paris, 28 novembre 1935

17 id. 02 juillet 1938

18 l' Humanité, 21 septembre 1925