Hommage à Jean-Pierre CANON

 

     En hommage à notre ami Jean-Pierre Canon, qui nous a quitté en début d'année, L'A.P.L.O. souhaite partager avec vous ce très beau poème que lui a dédié son ami Serge Meurant, et qu'a bien voulu nous communiquer sa compagne Gisèle Richez, que nous remercions chaleureusement.

 

D'autres poèmes, de Serge Meurant, sont consultables sur son site www.sergemeurant.be  (inédits)

 

 

 

Récit de la faim.


Carnets (Avril 2017/janvier 2018)

 

A Jean-Pierre Canon

Face à face, sans parler.
Nulle parole, un sentiment immense,
Le sac de livres est ouvert sur le lit,
La pluie tape sur le prunier en face du store.

Ryokan

 

 

 

Longue attente
dans l'antichambre
des vivants et des morts.

Tu retiens ton souffle,
Tu surveilles
sa respiration sous le drap.

Il dort parmi les livres
dans la chambre
sans fenêtre.

Son sommeil est peuplé
d'ombres claires.
Il rêve d'un jour ensoleillé.

Pour la première fois
depuis que son corps
est sauf,
Il rit d'être rassasié.

Sa voix coule limpide
sous les arbres
d'une pensée indicible.

Son corps perd ses eaux,
vit l'expérience veuve
de la faim.

Avidité des nourritures
et dégoût d'y goûter :
bouche de pierre.

Le torrent traverse
d'une eau tumultueuse
son corps transparent.

Les noeuds des nerfs
résistent à l'assaut.

Chaque jour hésite.
Une seule bouchée
rassasierait ta faim.

La nuit tombe,
La famine grandit.

Tes mains caressent
un mur de chaux,
c'est un soleil blanc
rugueux comme l'hiver.

Sur son lit d'hôpital,
il songe
à l'inconfort heureux

de son matelas de livres.

Nulle lucarne n'éclaire
son sommeil profond.
Le soleil intérieur est beau
comme un chardon.

Il écoute le grondement
de la nuit.

Le froissement de l'invisible
est un drap qu'on déplie.

Couché au pied de la montagne,
il fume silencieux.

Tu ne saurais nommer
l'absence de saveur
du monde.

A ta bouche portée,
la main n'est plus
nourricière,

déracinée
après quarante jours.

Intouchable,
dans l'angle
mort
de la vie

La peau sur les os.

Ton regard lucide

n'a pas changé
mais il s'enneige.

Dimanche.

Ce matin je taillai
la lèpre du lilas.

Des tournesols éclairent
la tacle d'hôpital,
les nourritures intactes.

Ta voix n'a rien perdu
de sa beauté,
ton armure gît sur le lit.

La dernière nuit,
ta fille dormit dans la chambre.

Lorsqu'elle en sortit,
ton souffle s'échappa.

Tu n'avais pas cédé,
mais le coeur

-pivoine obscure
dans la nuit du jardin-

lâcha la main
au lever du jour

Héritage du temps,
elle me donna ta montre.

Son pouls bat
au poignet de mon chagrin.

Tes cendres sur la table
dans une boîte en fer blanc,
la légéreté
de nos pensées
éparpillées dans la rivière.

                                                                                                                             Serge MEURANT